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L’Administration numérique des étrangers en France (ANEF) : un nouveau parcours du combattant pour les personnes réfugiées

Publié le : 16/07/2024

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Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Depuis mai 2022, les personnes bénéficiant d’une protection internationale en France doivent faire leur demande de titre de séjour sur le site de l’ANEF, l’Administration numérique des étrangers en France. Pensée pour faciliter les démarches, les dysfonctionnements techniques persistants de la plateforme, deux ans après son lancement, précarisent les personnes exilées dans et compliquent le travail des équipes sociales qui les accompagnent.

 

Sayed a récemment obtenu le statut de réfugié, près d’un an après son arrivée en France. Il a immédiatement passé son permis poids lourd afin de reprendre l’activité de chauffeur routier qu’il exerçait dans son pays d’origine. Ce précieux atout lui a permis d’obtenir rapidement une promesse d’embauche, lui offrant la perspective d’une autonomie financière bienvenue, alors qu’il vit depuis quelques semaines avec le RSA.

Cette opportunité a rapidement été mise à mal par les obstacles qu’il a rencontré dans ses démarches administratives. Du fait de la dématérialisation des demandes de titre de séjour, les demandes doivent être réalisées sur la plateforme de l’Administration numérique des étrangers en France (ANEF), or cette dernière est victime de bugs techniques récurrents. Sayed n’a ainsi pas pu obtenir le renouvellement de son attestation de prolongation d’instruction (API), document justifiant de la régularité du séjour indispensable pour entreprendre toutes ses démarches administratives et prouver la régularité de son séjour aux employeurs et aux services publics, en attendant que sa carte de séjour ne soit produite par la préfecture. Les conséquences ont été immédiates : Sayed a perdu une opportunité d’embauche, ses droits au RSA, et a été radié de France Travail.

 

Obstacles majeurs au parcours d’intégration

S’inscrivant dans un mouvement plus large de dématérialisation des services publics, la procédure de demande de titre de séjour sur le téléservice de l’ANEF a été mise en place à titre expérimental en 2020 et étendu aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire en 2022. La délivrance du titre de séjour pour les bénéficiaires d’une protection internationale prend environ un an, et dans l’intervalle, un document attestant de la régularité du séjour et permettant l’ouverture de leurs droits sociaux leur est délivré. Avec la mise en place de l’ANEF, le « récépissé de demande de titre de séjour », document provisoire bien connu des différents services publics, a été remplacé par une « attestation de prolongation d’instruction » (API).

Ces nouvelles API éditées via le site de l’ANEF ont rapidement posé problème : elles ne sont souvent pas reconnues comme équivalentes aux récépissés de demande de titre autrefois délivrés en préfecture.  Des services publics tels que la CAF, les CPAM, France Travail, mais aussi des employeurs, des bailleurs sociaux et des banques refusent des ouvertures de droit, retirent des promesses d’embauche, de formation, des propositions de logement social, ou refusent d’ouvrir un compte en banque, persuadés que le document présenté est un faux, ou ne constitue pas une preuve de séjour régulier. Les listes de documents officiels admis pour les démarches administratives n’ont pas été mises à jour, et l’État n’a pas pallié cette carence par une communication d’envergure nationale. Le renouvellement de l’API, que la numérisation n’a pas permis d’automatiser, est par ailleurs particulièrement difficile. Cette option n’apparait pas toujours sur le site, et l’API est parfois renouvelée pour trois mois au lieu de six, ou éditée avec des mentions erronées. Les autres blocages constatés par les intervenants sociaux de France terre d’asile incluent des messages d’erreur empêchant la création du compte, l’édition ou le renouvellement de l’API, ou des messages d’annonce de clôture de la demande sans justification de l’administration.

Si l’intention de ce dispositif était de réduire les délais d’attente en préfecture et de simplifier les démarches, les dysfonctionnements de la plateforme, leur très lente correction, et l’insuffisante reconnaissance de l’API en tant que document institutionnel faisant foi pour les démarches ont mis à mal le projet de simplification, entraînant des refus et des ruptures de droits pour des milliers de personnes.

Une charge de travail importante pour les travailleurs sociaux des associations

Les préfectures ont répondu à ces problématiques à travers la mise en place de points d’accès numériques afin de rendre plus accessibles les démarches en ligne pour les usagers. Il s’agit toutefois de postes informatiques sur lesquels les bénéficiaires peuvent accéder à l’ANEF, mais sans possibilité d’être assisté par un agent de la préfecture. 

Avant d’obtenir un véritable rendez-vous en préfecture pour corriger une procédure qui a mal tournée, les bénéficiaires de la protection internationale doivent saisir par voie dématérialisée plusieurs centres de support technique, mais ces recours sont généralement inaccessibles aux personnes qui ne bénéficient pas d’un accompagnement social. C’est pourtant seulement à l’issue de ces saisines, qui restent souvent sans réponses, que la prise de rendez-vous en préfecture est possible. Là encore, malgré la décision du Conseil d’Etat du 3 juin 2022 enjoignant l’État à mettre en place des voies de substitution au téléservice réellement accessibles aux usagers, les créneaux de prise de rendez-vous restent insuffisants au regard des besoins. Cette impossibilité d’accéder aux agents publics à même de débloquer les dossiers des personnes concernées viennent donc rallonger les périodes de ruptures de droits.

Face aux dysfonctionnements de l’ANEF, les intervenants sociaux n’ont souvent d’autre choix que de recommencer les démarches, ce qui ajoute une charge de travail conséquente aux équipes et rallonge considérablement les procédures. En outre, les dysfonctionnements du dispositif et son manque d’accessibilité complexifient les procédures et augmentent le besoin d’accompagnement des bénéficiaires d’une protection internationale, ralentissant ainsi leur intégration et entravant leur autonomie.

Certaines solutions permettant d’éviter les ruptures de parcours pourraient être mise en œuvre rapidement, avant que des corrections plus structurelles ne puissent être apportées : assurer le renouvellement des API pour six mois (elles sont parfois renouvelées pour trois mois aujourd’hui), ou automatiser totalement le renouvellement de l’API, notamment. Déjà en 2022, le Conseil d’Etat appelait à « prendre en compte les caractéristiques et situations particulières des étrangers demandant un titre de séjour, qui pourraient perdre le droit de se maintenir sur le territoire si leur demande n’était pas enregistrée ». Deux ans plus tard, les bénéficiaires d’une protection internationale en France continuent pourtant à voir l’accès à leurs droits fragilisés par les dysfonctionnements de l’administration numérique.