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Dumitru Tsepeneag, écrivain, poète et traducteur, est né en 1937 à Bucarest. À partir des années 1960 il devient, avec le poète Leonid Dimov , le chef de file de l’onirisme, le seul courant littéraire à s’opposer au réalisme socialiste officiel. En 1975, pendant un séjour à Paris, il est déchu de sa nationalité par le dictateur roumain Nicolae Ceauşescu, et contraint à l’exil. Dumitru Tsepeneag est naturalisé français en 1984. Ses textes sont publiés en Roumanie et en France, notamment chez P.O.L et Flammarion. (source wikipédia)
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Texte extrait du recueil J'ai deux amours, portraits d'exil, de Brigitte Martinez, Le cherche midi éditeur, 1998. Voir tous les portraits d'exil du livre
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« La Mamaliga n’explose pas ! »
« C’était vivant ! Je mangeais une chose vivante ! »La barbarie est française, la victime roumaine, le lieu du crime mythique. L’animal se débat sous l’acidité du citron et la surprise surgit, visqueuse, au palais de Dumitru. Le choc de la rencontre passe pourtant inaperçu aux yeux des habitués : les huîtres, à La Coupole, y’a pas de quoi en faire un plat ! Pour pimenter l'histoire, on aurait aimé qu’Eugène Ionesco, familier de la célèbre brasserie parisienne, soit à l’initiative de cette première expérience cannibale. Mais les deux compatriotes partagent davantage l’alcool des après dîners que les dîners eux-mêmes.
Dans nos verres - la prune, l’eau-de-vie maison, horinca, en provenance directe de Roumanie, coule forte et parfumée. Comme les souvenirs : Bucarest, la maison familiale, la vaste cuisine et les effluves d’une brioche aux noix, pétrie à noël, le Cozonac. Ils ouvrent des appétits qui eux, ne sont plus d’enfance : la croupe de Domenica va et vient, frémit devant l’évier. Elle lave la vaisselle. L’émotion est érotique, c’est la première.
« Je suis né en 1937 à Bucarest et j’ai toujours vécu en régime communiste. Avec un autre tempérament, j’aurais pu m’y adapter, mais… »
Mais, quand Dumitru commence à écrire, c’est plus fort que lui, il écrit surréaliste. Le modèle esthétique imposé par le régime, le réalisme socialiste, non, décidément, ce n’est pas pour lui. Il s’obstine à sortir du moule, à écrire d’autres choses, d’autres mots, d’autres réalités qui n’ont rien d’officielles. Contraint de publier à l’étranger, il choisit Paris. « Comme un con, j’ai raté mai 1968 ! ».
La nuit - les années soixante-dix sont encore jeunes -, le quartier des Halles résonne de « français parigot. Je n’y comprenais rien. Petit à petit, je m’y suis fait ». L’aventure est linguistique. Humaine aussi. Au Pied de Cochon, les Américaines s’acoquinent avec des garçons bouchers aux tabliers tâchés de sang. Avec beaucoup de joie. « La joie des Américaines », précise Dumitru avec malice.
Mais Bucarest lui manque et, en 1972, il retourne chez lui au grand étonnement des autorités roumaines qui croyaient s'être à jamais débarrassé du « troublion ». Qu’à cela ne tienne, le lancement à Paris de sa revue littéraire les Cahiers de l’Est leur fournira un bon prétexte : Dumitru est déchu de sa nationalité roumaine par décret présidentiel, en 1975.
Et comment se sent-on quand on n’a plus de papiers? « Oh, on se sent très bien! » lance-t-il en riant. Le ton est aujourd’hui léger, sans doute pour cacher la gravité d’une situation. Car pour lui c’est l’exil.
« Une dictature, c’est le produit de tout le monde, nous sommes tous responsables». Dumitru s’agite, comme si l’expression populaire la mamaliga n’explose pas venait confirmer ses pensées. C’est un fait la polenta, ça n’explose pas. Autrement dit le Roumain ne se révolte pas. Les années Ceausescu seraient-elles la conséquence, l’illustration, d’un fatalisme roumain originel ? Une légende nationale conte qu’un berger, pourtant prévenu de son assassinat, ne cherche pas à s’y soustraire. Il s’allonge et attend la mort. Les Roumains se sont-ils, eux aussi, à l’image du berger, soumis à leur destin sans broncher ? Pourtant en 1990, après le renversement du dictateur, l’expression la mamaliga n’explose pas revient à la bouche de beaucoup d'étudiants. Pour conjurer le mauvais sort et enfin prouver que la polenta peut, à force de volonté, se soulever ? Peut-être.
« Je n’avais rien, pas de papiers, ni français, ni roumains, je n’avais rien. Mais j’avais des amis ». Dumitru vivra pendant plus de 10 ans en France avec pour tout passeport, un passeport d’apatride. Sa femme est roumaine, leur fille, née à Paris, est française et lui est apatride. « J’écrivais. Je traduisais en français, j’étais complètement assimilé, c’était une vexation ». Une vexation de se voir refuser une identité. Il deviendra français en 1984.
À l’époque, « je me rendais à la cuisine française, je m’y livrais entièrement. » Aujourd’hui le passé, avec ses nourritures d’enfance rattrape Dumitru . « Au début on essaie de s’assimiler, après on se laisse aller à ses souvenirs primaires ». Il recherche désormais la saveur de ce fromage de brebis corse qui ressemble tant au fromage roumain . Il consacre des heures à enlever la peau des aubergines, à les épépiner pour préparer son caviar d’aubergine. « J’arrive à les rendre presque blanches », ajoute-t-il fièrement.
Aujourd’hui, Dumitru trouve de l’aneth sur n’importe quel marché parisien. Le maïs arrive désormais sous forme de polenta. Précuit, il n'attache plus au fond de sa casserole. Les charcuteries fines vendent toutes du tarama, plus besoin de se faire offrir comme jadis, « gratis » des œufs de poissons pour le cuisiner.
« On trouve tout à Paris. C’est finalement peut-être pour cela qu’on s’exile ». Ironique, Dumitru sourit.
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