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L’impasse grecque, moteur du désespoir

Publié le : 11/05/2016

liberation

 

Alors que l’accord avec Ankara, prévoyant le renvoi en Turquie des réfugiés, apparaît de plus en plus compromis, près de 55 000 personnes seraient bloquées en Grèce.

 

L’image est saisissante : lundi, quatre hommes ont tenté de franchir à la nage les 26 kilomètres qui séparent la Grèce de la Turquie. En sens contraire du flux qui s’est déversé sur l’Europe ces derniers mois. Filmés par des volontaires, ils ont ensuite été interceptés par des garde-côtes grecs et ramenés sur l’île de Chios. Une tentative absurde, mais aussi un geste de désespoir pour des migrants qui avaient pourtant payé cher pour faire clandestinement le chemin inverse quelques semaines auparavant. En réalité, ces quatre-là avaient peu de chance, même sans être interceptés, de réaliser cette traversée. Mais la situation est dans une telle impasse en Grèce que certains sont visiblement prêts à tout pour rompre l’immobilisme douloureux dans lequel ils se trouvent.

A ce jour, 8 352 migrants sont bloqués sur les îles grecques, avec interdiction de les quitter avant que leur sort ne soit fixé. C’est la nouvelle donne depuis le 20 mars suite à l’accord entre l’Union européenne et la Turquie : les migrants arrivés après cette date sur les îles doivent y rester dans l’attente de leur enregistrement et de leur éventuelle demande d’asile en Grèce. Ou de leur renvoi en Turquie. Mais les démarches sont si lentes, les conditions de vie dans les camps de détention tellement difficiles, que certains peuvent visiblement perdre la tête, jusqu’à se jeter à l’eau.

 

Austérité

L’avenir n’est guère encourageant : injuste, cynique et bancal, l’accord Europe-Turquie est de surcroît désormais menacé. Depuis qu’Ankara a officiellement annoncé son refus de modifier la loi antiterroriste pour satisfaire aux critères de la libéralisation des visas, celle-ci semble compromise. Avec le risque de voir la Turquie lâcher la bride des passeurs, qui pourraient à nouveau inciter les migrants à tenter en masse la traversée. Dans l’immédiat, le flux a beau s’être considérablement réduit depuis le 20 mars, il ne s’est jamais totalement arrêté. Pour preuve, lundi, plus de 70 migrants ont accosté sur les îles grecques. Et le nombre total de réfugiés présents en Grèce ne fait que croître. Sans que personne ne sache réellement ce qu’ils deviendront dans ce pays ruiné par six ans d’austérité.

Au dernier décompte, 54 341 migrants se retrouvent ainsi coincés en Grèce. Dont 10 000 rien qu’à Idomeni, à la frontière avec la Macédoine, dans un camp que les autorités grecques espèrent vider fin mai. En persuadant tous ces obstinés qui rêvent encore d’une réouverture des frontières des Balkans qu’il est plus «raisonnable» de rejoindre les camps plus organisés, ouverts récemment dans la région. Mais à qui s’adresse-t-on ? En majorité à des gens qui ont souvent investi toute leur fortune pour fuir la mort et les bombardements, et qui se retrouvent coincés à la frontière nord de la Grèce, sans parfois accepter ce tour funeste du destin.

 

État de choc

Vendredi, un membre de Médecins sans frontières en poste à Idomeni évoquait, sur le site de l’ONG, les cas auxquels il était confronté : un jeune Syrien de 22 ans en état de choc intense, après avoir appris que sa sœur venait de mourir lors d’un bombardement sur Alep. Un gamin de 7 ans, incontinent depuis qu’il a vu mourir son père sous ses yeux. « Ces gens ne laissent pas ces expériences derrière eux alors qu’ils ont fui pour sauver leur peau. Elles les suivent comme une ombre », atteste-t-il. Avant d’ajouter : « Ils ont réussi à fuir mais se retrouvent confrontés à un nouveau défi à Idomeni. Ils vivent dans la peur : celle de recevoir de mauvaises nouvelles de ceux qui sont restés au pays. Peur de l’inconnu ici, et d’être renvoyés là-bas. »

Contrairement aux quatre désespérés qui ont tenté le retour en Turquie à la nage, l’immense majorité des migrants refusent d’y être rapatriés. Une option qui pourrait être abandonnée prochainement : selon le tabloïd allemand Bild, les dirigeants européens seraient déjà en train de réfléchir à un plan B pour éviter un nouveau tsunami humain cet été, si le fil était rompu avec Ankara. Dans cette attente, certains sautent le pas : selon la presse macédonienne, 800 migrants auraient franchi illégalement la frontière avec la Grèce depuis le début de la semaine.

Le 10/05/2016, par Maria Malagardis, Libération